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Patience et longueur de temps

Publié le mar 09/04/2024 - 11:00
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Mirga Gražinytė-Tyla - Photo : Drew A Kelley
Mirga Gražinytė-Tyla - Photo : Drew A Kelley

 

La cheffe lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla a noué d’intenses rapports avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Elle le retrouve à deux reprises. 

Tyla. « Silence » en lituanien. Un nom de scène que Mirga Gražinytė ajoutait il y a quelques années à son patronyme, à l’orée d’une carrière prometteuse. Voilà qui signifie beaucoup pour une artiste rayonnante et affable qui, sans tambour ni trompette, est en passe de s’imposer parmi les plus grandes stars mondiales de la baguette. Dévouée entièrement à la musique mais soucieuse, dit-elle, de s’en détacher parfois pour mieux entretenir la passion qui l’unie à son art, la cheffe lituanienne n’est ni une autocrate du podium (on n’ose parler de « direction » dans son cas, tant la relation avec ses musiciens tient de la collaboration amicale), ni un prodige carriériste et dévoré d’ambition. A contrario de certains de ses plus talentueux confrères du moment (l’on pense notamment à l’excellent Vassili Petrenko qui, de dix ans seulement son aîné, se retrouve aujourd’hui à la tête d’une discographie aussi monumentale qu’inégale), Mirga construit patiemment son répertoire, dispense au compte-gouttes des disques qu’elle peaufine amoureusement, gagne peu à peu son public sans jamais renoncer à ses priorités : la vie, les siens.  

Née en 1986 à Vilnius au sein d’une famille de musiciens professionnels, Mirga Gražinytė-Tyla baigne dès l’enfance dans un environnement profondément musical. Elle chante, mais s’intéresse aussi à la peinture qu’elle étudie à l’école nationale des Beaux-Arts en même temps qu’elle apprend le français. À 11 ans cependant, elle est atteinte par le virus familial : attirée par le travail de la voix (mais comment ne pas l’être avec un père chef de chœur et une grand-mère adorée qui l’abreuvait, petite, de ses chansons), Mirga s’oriente vers la direction chorale et sort diplômée en 2007 de l’Université de musique et des arts de la scène de Graz en Autriche. Bien que n’ayant reçu aucune formation instrumentale, elle part étudier la direction d’orchestre à Leipzig et au conservatoire de Zurich. Par la suite, Mirga Gražinytė-Tyla enchaîne les postes de maître de chapelle au Théâtre d'Heidelberg en 2011 et à l'Opéra de Berne (2013-2014), remporte entre-temps le concours des jeunes chefs d'orchestre du festival de Salzbourg, est désignée enfin directrice musicale du théâtre du Land de Salzbourg, avec qui elle collaborera jusqu’en 2017. 

Puisque Mirga « Silence » ne cesse d’aspirer à une certaine discrétion, c’est Gustavo Dudamel qui se chargera de faire un brin de tapage à sa place, révélant au public américain celle qu’il choisira comme assistante à Los Angeles en 2014. Coup de cœur partagé par l’orchestre californien, qui en fait son nouveau chef adjoint jusqu'en 2017. En 2015, c’est le symphonique de Birmingham (une véritable pépinière de grands maestros) qui tombe à son tour sous le charme de cette artiste aussi précise qu’intuitive. En 2016, Mirga Gražinytė-Tyla devient la première femme cheffe d'orchestre à être nommée directrice musicale de cette vénérable institution. Ainsi, après les magistères de Sakari Oramo et Andris Nelsons, elle succède indirectement à Sir Simon Rattle, un illustre prédécesseur avec lequel elle possède bien des points communs : la jeunesse (Rattle avait 25 ans lorsqu’il se vit confier les rênes de l’orchestre), la pétulance, la bonhommie, une ouverture sur tous les types de répertoires et, en sus d’une technique irréprochable, une audace toujours maîtrisée.   

« Elle a cette technique en répétition qui vous fait oublier que vous avez déjà joué le morceau auparavant. Vous avez l’impression de le reprendre entièrement ». Ce témoignage d’un clarinettiste de l’Orchestre symphonique de Birmingham, dans le New York Times en 2022, en dit long sur l’exigeant travail de préparation que la cheffe s’impose et impose à ses musiciens, lors de séances de répétitions aussi minutieuses que chaleureuses. Les échanges avec les instrumentistes y abondent, véritables communions artistiques et spirituelles préalables à des concerts de très grande qualité. Le « style Gražinytė » ?  Un sens prononcé de la respiration, une animation perpétuelle des phrasés qui va de pair avec un souci absolu du détail, de la nuance. Beaucoup de souplesse aussi, au cœur d’une architecture néanmoins solide. Quiconque observera Mirga Gražinytė-Tyla dans le feu de l’action éprouvera l’impression de la voir traiter les divers pupitres comme autant de voix humaines. Mais l’expressivité, pour elle, n’est rien sans le rythme, qu’elle tient toujours à bien caractériser. Il est une évidence que Gražinytė-Tyla met en exergue à travers son artisanat : intimement intriqués, le chant et la danse demeurent l’essence même de toute musique.  

En février 2019, elle est la première femme cheffe d’orchestre à signer un contrat d’exclusivité longue durée chez Deutsche Grammophon. Nouvelle consécration, donc, pour la jeune recrue du label à l’étiquette jaune, qui préfère d’entrée de jeu explorer des territoires encore vierges plutôt que d’ajouter une énième symphonie de Mahler (qu’elle adore pourtant) au catalogue de son éditeur. Ce sera, à deux reprises, Mieczysław Weinberg, épigone génial de Chostakovitch qu’elle défend aujourd’hui peut-être mieux que personne, son cher ami Gidon Kremer excepté. C’est, du reste, la Troisième Symphonie du compositeur polonais qu’elle présenta au public français lors de son premier concert avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France en 2021. À ces disques archi-primés s’ajoutent un album assez fascinant consacré à sa compatriote Raminta Šerkšnytė ou, plus récemment, un programme de toute beauté dédié aux compositeurs britanniques (The British Project, 2021) qui témoignent l’un et l’autre de son éclectisme quasi-militant.   

Aujourd’hui, Mirga Gražinytė-Tyla continue de mener sa barque à sa manière, n’hésitant pas à défier une filière musicale souvent insatiable avec ses têtes d’affiche. Comme à Birmingham, par exemple, dont elle faillit quitter la direction en 2022 avant que d’obtenir un poste d’artiste associée plus en adéquation avec son mode de vie. Insaisissable mais ô combien incontournable Mirga Gražinytė-Tyla ! 

Jérémie Cahen 

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