La voix humaine et l’enfant terrible

Barbara Hannigan sera la malheureuse héroïne de La Voix humaine, les 6 et 7 janvier. Un monodrame composé sur un texte de Cocteau qui, toute sa vie durant, eut les musiciens pour complices.
Dans la Préface écrite en 1922 pour Les Mariés de la tour Eiffel, Cocteau explique quelle était alors son esthétique : « Le poète doit sortir objets et sentiments de leurs voiles et de leurs brumes. (…) La jeune musique se trouve dans une situation analogue. Il s’y crée de toutes pièces une clarté, une franchise, une bonne humeur nouvelles. »
Poulenc expliquait pour sa part : « Jean Cocteau, que toute nouveauté attire, n’a pas été notre théoricien, comme d’autres l’ont prétendu, mais notre ami et notre brillant porte-parole. »
Cocteau fut ainsi l’ami fidèle de Poulenc, d’Auric et des autres. Car « il y avait entre la musique et Jean Cocteau des liens d’intimité organiques, explique Henri Sauguet. Sans doute n’était-il pas exécutant ou compositeur. Il n’empêche qu’il appartenait au monde des sons, à l’univers orphique, par osmose ou transfert. » Pour Milhaud, il signa l’argument du Bœuf sur le toit et le livret de Pauvre Matelot. Au début des années 20, Honegger composa les Six Poésies de Jean Cocteau ; sept ans plus tard, à La Monnaie de Bruxelles, était créée son Antigone, sur un livret de Cocteau inspiré de Sophocle (le compositeur avait dès 1922 composé une musique de scène pour la pièce de Cocteau, créée le 20 décembre au Théâtre de L’Atelier). Honegger écrivit également de nombreuses musiques de film (pour Abel Gance, Pagnol, Pabst…), mais c’est Georges Auric qui fut le compositeur de la plupart des films de Cocteau, du Sang d’un poète (1930) jusqu’au Testament d’Orphée (1960) via L’Éternel retour (1943), La Belle et la Bête (1946) ou Orphée (1950).
Quant à Poulenc, Cocteau lui inspira les trois chansons de Cocarde (dédiées à Auric !), la comédie lyrique Le Gendarme incompris, les deux monologues composés pour Denise Duval et créés par elle sous la direction de Georges Prêtre : La Voix humaine (en 1959 à l’Opéra Comique) et la poignante Dame de Monte-Carlo (en 1961 au Théâtre des Champs-Élysées, avec l’Orchestre National) ; sans oublier, sur le tard, la musique de scène de Renaud et Armide.
Cocteau avait commencé sa carrière dans la musique avec le ballet Parade de Satie, créé en 1917 par les Ballets russes avec des costumes de Picasso, mais on ne saurait oublier Stravinsky, pour qui Cocteau écrivit le livret de l’opéra-oratorio Œdipus rex. Stravinsky raconte : « J’avais demandé à Cocteau d’écrire un livret très banal, pour un grand public, mais Cocteau m’écrivit un livret wagnérien, alors que personne n’a jamais compris les livrets de Wagner, ni Wagner lui-même, ni Hitler. “Pas d’inquiétude, je vais en faire un autre“, me répondit alors Cocteau. Son deuxième livret était moins wagnérien, certes, mais il était encore wagnérien ! Il le refit encore une fois, et à la troisième tentative, il aboutit à un livret d’opéra italien. »
Ce livret fut traduit en latin par Jean Daniélou, et Œdipus rex créé le 30 mai 1927 au Théâtre Sarah-Bernhardt.
Christian Wasselin
Humaine, trop humaine
Dans une lettre adressée à Francis Poulenc le 6 décembre 1958, Jean Cocteau explique comment il voit l’héroïne de La Voix humaine :
« Le personnage ne doit pas être d’aspect tragique. Il ne doit pas être d’apparence frivole. Aucune recherche d’élégance. La jeune femme a mis ce qu’elle avait sous la main mais elle attend ce téléphone et croit être vue. Malgré son mensonge de la robe rose il y a donc son élégance, celle d’une jeune femme habituée à être élégante. La note tragique sera soit un châle, soit un trench-coat ou loden qu’elle jettera sur ses épaules sans l’ombre de coquetterie parce qu’elle a froid, “froid au-dedans“. C’est ainsi que je la ferai se chauffer au feu de la rampe. »